(translated from french - please find the original version below)

“A friend and colleague once notes while marking a student’s work, what’s referred to as a real ‘gem’, one of those wonderfully incongruous statements that are the reward of marking work : ‘The artist, it read, paints a cloudy sky, denouncing the bad weather’. Only the candour of a sixth-former could so pertinently challenge the over-used concept of politically engaged art. A work of art never has just one meaning, but a thousand, what pedants would call its polysemy; and this is what differentiates it from other types of intellectual creation. It is very rare that in portraying his or her time, an artist knows every time, whether he or she is celebrating, describing or denouncing it. It is our own knowledge of the context that makes us interpret a painting one way rather than another and most of the time we forget this.

An inhabitant from Sirius, on seeing Guernica for the first time would in all likelihood see it only as an impressive composition of a nightmare - Picasso had no way to show through his painting the collusion of European fascist regimes, the Condor Legion, Franco’s ignominy as it was. Bianca Argimón knows this, she bears witness with much subtlety for her time (a time, which, we have to admit, going back to our sixth form student, is quite dismal). Creating exclusively game-like compositions, Argimón transforms her surroundings into a giant game of monopoly, as seen by a child-like ‘Shakespeare’: in other words, shabby actors, who make but a brief appearance full of deafening noise and fury, in a meaningless play written by an idiot. Her work brings us back to the condition of a child, the Latin Infans, who has yet to master the mysteries of language and for who the world remains an enigma to unravel : the context is often withheld, the work revealing clues, that only the most curious spectator, who has not abdicated the thirst of knowledge that illuminates the first ages of life will have at heart to decipher.

Treasure Hunt on Tax Haven, ‘tax haven’ curiously termed in french as ‘Paradis fiscaux’ ( fiscal paradise ), is none other than the title of a rug that the artist places under our feet as flying carpet - a rug is a horizontal landscape, one that’s stylised in the extreme, in a way that we’re no longer used to seeing- and this helps us understand the motifs which are depicted on it : an archipelago imagined with all the different tax haven islands where modern-day millionaires are domiciled, so they can avoid contributing to the common good, which they otherwise enjoy.

The hilarious football piece Materazzi only immediately resonates with spectators of the 2006 World Cup, though what soon becomes evident, including for those who wonder about the title, is the depiction of a perfect metaphor for universal shamelessness- a football game, life in miniature, the playing film as a microcosm. ‘Table football’ as its name indicates, is played on a small scale, with two players. Through it the world is placed a double distance, so as to seize it with detachment - a game is already a work of art in itself.

Stylistically, Bianca Argimón’s drawings are situated at the exact crossover of childrens drawings, drawings considered as ‘outsider art’ (Henry Darger in mind) , and the Deyrolle wallcharts which orned walls of schools in France until the 1970s: their meticulous attention to detail nourished the knowledge of generations.

Magic Bean, tower of Babel is a giant anthill where the insects are busyferrying playing cards and casino chips beneath screens displaying stock market prices, while Archéologie Moderne bas-reliefs depict pastel toned scenes of contemporary urban riots.

Bianca Argimón is clearly an artist concerned with current events, be it anecdotal or dramatic, and as concerned for the present as for the future; through her art had the intelligence of avoiding pathos, domination, total control, a ‘Liberté guidant le peuple’ effect, or any other lesson. In her work, all becomes equal, something to the simply put observation like a theorist like Donna Haraway: a viewpoint, both uncertain and luminous, that relegates to the detritus of History monumentally inhumane great seeing machines. Bianca Argimón renews a genre, but - and everything is in this “but” - with nonchalance, with a casual air.”

Didier Semin

“ Une ami et collègue a relevé un jour dans une copie ce qu’il est convenu d’appeler une « perle », une de ces remarques merveilleusement incongrues qui sont la récompense des correcteurs : « L’artiste, pouvait-on lire, peint un ciel nuageux pour dénoncer le mauvais temps ». Il fallait la candeur d’un jeune élève de terminale pour contester aussi pertinemment la notion rebattue d’art engagé. Une œuvre d’art n’a jamais qu’un seul sens, mais toujours mille, et c’est même ce que les cuistres appellent sa polysémie qui différencie l’œuvre d’art des autres productions de l’esprit : il est bien rare qu’en figurant son temps, un artiste sache à tout coup s’il le célèbre, le décrit, ou le dénonce, et on oublie trop souvent que c’est la plupart du temps notre connaissance du contexte qui nous fait interpréter un tableau dans un sens plutôt que dans un autre.

Un habitant de Sirius découvrant Guernica n’y verrait selon toute vraisemblance que l’image admirablement composée d’un cauchemar — Picasso n’avait aucun moyen d’expliquer en peinture la collusion des fascismes en Europe, la légion Condor, l’ignominie franquiste en tant que telle. Bianca Argimón sait tout cela, et témoigne avec beaucoup de finesse de son temps (un temps dont il faut bien reconnaître, pour suivre la voie de notre élève de terminale, qu’il est assez mauvais) sur le mode exclusif du jeu, rapportant ce qui l’entoure à une gigantesque partie de Monopoly vue par un Shakespeare en culottes courtes : c’est-à-dire disputée par de piètres acteurs, qui ne font que passer avant d’être oubliés, pleine de bruit et fureur assourdies, racontée par un idiot et ne signifiant rien. Ses travaux nous ramènent à la condition de l’enfant, l’infans latin qui ne maîtrise pas encore les arcanes du langage, pour qui le monde demeure une énigme à déchiffrer : souvent, le contexte n’est pas donné, et l’œuvre ne livre que des indices que seul(e) le spectateur ou la spectatrice encore curieux ou curieuse de tout, n’ayant pas abdiqué la soif de savoir qui illumine les premiers âges de la vie, aura à cœur de déchiffrer.

C’est le titre (Tax Haven, littéralement « refuges fiscaux », la langue française a curieusement adopté pour les désigner le terme Paradis fiscaux), et rien d’autre que le titre d’un tapis qu’elle met sous nos pieds — un tapis est un tableau horizontal, un paysage stylisé à l’extrême, que nous avons perdu l’habitude de voir comme tel — qui nous aidera à comprendre les motifs qui s’y dessinent : une carte des îles où les milliardaires modernes se font domicilier pour éviter de contribuer au bien commun dont, par ailleurs, ils profitent. L’hilarant baby-foot Materazzi ne parlera spontanément qu’aux spectateurs de la coupe d’Europe de football en 2006, mais constituera pour eux, et pour tous ceux qui s’interrogeront simplement sur ce nom propre, une parfaite métaphore de l’universelle chiennerie — une partie de football, c’est la vie en modèle réduit, et le terrain sur lequel elle se joue un tapis conçu comme un microcosme.

Un « baby-foot » est, comme son nom l’indique, une maquette de jeu, un jeu à la puissance deux qui met le monde doublement à distance pour s’en saisir avec détachement, déjà une œuvre d’art en somme. Les dessins de Bianca Argimon se situent, stylistiquement, à l’exact croisement du dessin d’enfant, du dessin réputé « brut » (on songe à Henry Darger) et des planches pédagogiques Deyrolle qui couvraient les murs des classes primaires en France jusque dans les années 1970 : c’est la recherche du détail qui y nourrit la connaissance du tout. La Tour de Babel de Magic Bean est une fourmilière où des insectes s’activent à charrier cartes et jetons de casino sous des écrans affichant les cours de la Bourse, tandis que les bas-reliefs ou les camées d’Archéologie moderne révèlent sous leurs tons pastels des séquences d’émeutes urbaines contemporaines. Bianca Argimón est à l’évidence une artiste concernée par la société qui l’entoure, on la devine à l’affût de toutes les actualités, anecdotiques ou dramatiques, et inquiète du présent comme de l’avenir : mais l’intelligence de son art est d’éviter tout pathos, toute position de surplomb et de maîtrise, tout effet Liberté guidant le peuple, toute leçon.

Il y a dans son travail, toutes choses égales d’ailleurs, quelque chose du témoignage modeste aujourd’hui défendu par des théoriciennes comme Donna Haraway : la revendication d’un point de vue à la fois incertain et lumineux qui renvoie aux poubelles de l’histoire les grandes machines à voir de loin, monumentalement inhumaines. Bianca Argimón renouvelle un genre, mais — et tout est dans ce « mais » — mine de rien.”

Didier Semin